Vers une agriculture plus sobre en énergie : les clés pour agir sur la mécanisation

Entretien avec Stéphane Chapuis - Responsable du service AgroDev de la Fédération Nationale des CUMA

La meilleure énergie pour la décarbonation du secteur agricole, c’est celle qu’on ne consomme pas.

La mécanisation agricole est l’un des principaux postes de consommation d’énergie sur les exploitations, avec des impacts économiques et environnementaux majeurs. Pourtant, les marges de manœuvre sont réelles pour aller vers plus de sobriété, sans nuire à la performance des exploitations. Dans cet entretien, Stéphane Chapuis, responsable du service AgroDev à la FNCUMA, partenaire du programme Fabacéé, partage un état des lieux de la mécanisation en France et met en lumière les leviers concrets pour réduire la consommation énergétique. Un point de vue éclairant sur les moyens de concilier performance agricole et sobriété énergétique.‍

Fabacéé : Quels sont l'état des lieux et les chiffres clé de la mécanisation du secteur agricole en France ?

Stéphane Chapuis : Les charges de mécanisation en France, dont la définition ne fait pas encore consensus, s'élèvent à 18 milliards d'euros annuels, selon le dernier rapport du CGAAER (ministère de l'Agriculture). Ce chiffre reste bien entendu variable selon les typologies d'exploitations et les systèmes plus ou moins extensifs ou intensifs. Il faut, par ailleurs, souligner qu’une très large majorité de l'équipement des exploitations agricoles françaises est en propriété individuelle, une tradition qui diffère de celle de nos voisins européens. Les réseaux de délégation ou de partage, tels que les CUMA et les Entreprises de Travaux Agricoles (EDT), représentent moins de 20% de ce chiffre.

Les charges de mécanisation pèsent lourdement sur la rentabilité des exploitations agricoles françaises et questionnent les stratégies d'équipement et de mécanisation.

En outre, les machines agricoles sont souvent sous-utilisées par rapport à leur capacité. Leur usage est souvent limité par l'organisation des exploitations, leur taille et le manque de main-d'œuvre expérimentée pour les utiliser. Les agro-équipementiers conçoivent des machines pour un très haut niveau d'utilisation, mais l'organisation individuelle des exploitations fait que ces capacités sont, au final, peu utilisées. Un exemple frappant de la sur-mécanisation de l’agriculture française est qu'il y a plus de tracteurs en France que de poids lourds. Pour illustrer ce fait, il faut imaginer que, même si on mettait tous les salariés et exploitants agricoles français sur un tracteur, on n’aurait pas assez de main d'œuvre pour les mettre tous en route en même temps. Bien que la fonction de la machine soit d'améliorer la productivité et de réduire la pénibilité du travail, au final cette sous-utilisation pèse lourdement sur les comptes de résultats des exploitations agricoles.

Fabacéé : En quoi cette sur mécanisation représente-t-elle un enjeu notamment du point de vue des consommations énergétiques du secteur ? Quelles sont les solutions et les alternatives possibles pour y remédier ?

Stéphane Chapuis : La mécanisation est très énergivore et constitue un secteur qui doit encore faire de gros progrès en matière de sobriété. Avec environ 2 millions de tonnes équivalent pétrole (TEP*) consommés par an, quasi exclusivement sous forme de Gazole Non Routier (GNR), la consommation énergétique des exploitations agricoles en France est majoritairement portée par la machine. Ce GNR bénéficie d'un régime fiscal très favorable, notamment une exonération de TICPE (taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques), ce qui ne pousse pas toujours à la réflexion sur la sobriété. Des questions de décarbonation et de transition énergétique émergent, avec une volonté de switch vers des carburants renouvelables ou de l'électricité bas carbone. Mais avant de basculer vers des énergies renouvelables, le secteur agricole doit impérativement progresser vers la sobriété énergétique. La meilleure énergie pour la décarbonation est celle qui n’est pas consommée, ce qui souligne l'importance de revenir aux leviers de sobriété. C’est une stratégie que nous souhaitons encourager à la FN Cuma. Nous sommes d’ailleurs et à ce titre porteurs depuis plus de vingt ans d'actions de diagnostic et de conseil sur les tracteurs agricoles, notamment via le banc d'essai moteur qui contrôle les performances et la consommation, avec des préconisations d'utilisation et d'entretien. Cette démarche est reconnue dans le cadre de la fiche CEE AGRI SE 101, la seule fiche du dispositif liée à l'agroéquipement à ce jour. 

Au-delà des caractéristiques intrinsèques des machines, des leviers d'économie d'énergie existent grâce à l'éco-conduite. Celle-ci, qui inclut le réglage de la machine, la liaison entre le tracteur et l'outil, le dimensionnement des tracteurs par rapport aux outils, la pression des pneumatiques et la plage de régime d'utilisation, offre un potentiel d'économie d'environ 20% de la consommation de GNR. Ces économies peuvent être réalisées sans dégrader le débit de chantier ou la qualité de travail. Ce levier concerne principalement les tracteurs, mais aussi les automoteurs de récolte. L'éco-conduite est un levier majeur et peu coûteux (formation qui ne coûte presque rien) pour réduire la consommation d'énergie, les émissions de carbone et améliorer la rentabilité des exploitations, sans nécessiter d'investissement lourd.

Fabacéé : Comment et en quoi le programme Fabacéé peut-il être une opportunité pour adresser ces enjeux ?

Stéphane Chapuis : Pour répondre par l’exemple à cette question, je vais revenir au sujet de l’éco-conduite. Contrairement au secteur du transport routier où la formation à l'éco-conduite est courante, cette pratique est encore peu répandue dans le domaine agricole. Nous aimerions profiter du programme Fabacéé pour solidifier les meilleures pratiques en la matière, les montrer aux agriculteurs afin qu'ils en deviennent les ambassadeurs et que l’on puisse répandre plus largement ces pratiques sur le territoire. La FN Cuma est très heureuse d’être partenaire de Fabacéé car il s’agit de l'un des rares programmes d'ampleur à s'interroger sur la question de la sobriété et de l'économie de carburant, ce qui est aligné avec notre vision du sujet de l’énergie en agriculture. 

Fabacéé vise à impulser un changement massif grâce à son approche d'ancrage de terrain et son accompagnement, reconnaissant la puissance des collectifs agricoles et se distinguant des aides à l'achat.

Fabacéé se concentre par ailleurs sur l'accompagnement des agriculteurs, une approche qui n'était pas présente auparavant et qui se distingue des dispositifs de soutien majoritairement axés sur l'achat ou la location de matériel. Le programme Fabacéé est ambitieux et d'envergure, s'ouvrant à une large majorité des exploitations sur le territoire français, avec un déploiement terrain et une diversité d'acteurs. Avec Fabacéé, nous avons une opportunité unique de replacer la sobriété au cœur des pratiques agricoles, en valorisant l'intelligence collective et l’accompagnement plutôt que la surenchère technologique. 

*Une TEP (tonne équivalent pétrole) correspond à environ 1 000 litres de GNR.

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